Poussin et Moïse. Du dessin à la tapisserie

année : 2010

lieu : Villa Medicis, Rome

collaboration : Mobilier national, Bibliothèque nationale de France, Musée du Louvre, Musée des Beaux-Arts de Grenoble, l'Istituto Nazionale per la Grafica de Rome - Calcografia, The Ashmolean Museum - Oxford, National Museum de Cardiff conjointement avec la National Gallery de Londres

info : Commissaires : Eric de Chassey, Annick Lemoine, Marc Bayard, Arnauld Brejon de Lavergnée

crédits photos : Ramy Fischler

Légende Lutrins : Sur les supports qu’il a créés, Ramy Fischler propose du lien et du sens dans l’interstice laissé entre deux institutions qui vivent sous le même toit mais qui ne communiquent pas (l’organisation d’événements et d’expositions n’entrant jamais en résonnance avec l’accueil des pensionnaires).

Légende greffes de table : Les greffes de table sont tout sauf un objet manifeste. Plutôt une greffe de Culture dans une cafétéria réduite à sa plus simple expression.

 

Exergue : « Penser l’accueil est aussi une manière de véhiculer l’identité du lieu au plus grand nombre et de générer du lien entre les différentes missions de l’Académie. » Ramy Fischler

 

POUSSIN ET MOÏSE

 

Quelques mois après l’arrivée de Ramy Fischler à la Villa Médicis, la mission Malraux prépare l’exposition des tapisseries de Nicolas Poussin, réalisées après la mort du peintre, à partir de ses œuvres inspirées de la vie de Moïse. Le designer choisit de s’impliquer dans ce projet en concevant la scénographie de l’exposition, qui s’avère être un vivier d’expérimentations idéal pour appréhender, au cœur de sa recherche, la question de l’accueil et – dans toutes les acceptions du terme –, du sens de la visite à la Villa Médicis.

Le projet est coproduit par le Mobilier National, qui abrite les tapisseries tissées sous la direction de Lebrun. Il s’agit pour les commissaires de faire découvrir ces œuvres inédites, en dialogue avec les peintures et dessins de Poussin qui ont inspiré les lissiers de la Manufacture des Gobelins. Autant les ressemblances que les différences perceptibles entre les versions initiales du peintre et leur agrandissement, témoignent des ambitions artistiques de l’époque et des enjeux technologiques grandissants, alors que le Royaume cherche à affirmer sa suprématie artistique sur les voisins européens.

 

Réunir les missions : de la scénographie d’exposition au dispositif d’accueil dédié à tous les visiteurs de la Villa

À travers la vie et l’œuvre de Poussin convergent une multitude de données écrites, illustrées, induites ou éprouvées qui ne demandent qu’à s’unir pour former des récits, parfois anecdotiques pour l’Histoire mais ô combien utiles pour générer du lien et du sens. Introduit dans les entrailles de l’institution pour les besoins de l’exposition, Ramy Fischler peut y laisser libre cours à ses préoccupations en considérant que penser l’accueil est aussi une manière de véhiculer l’identité du lieu au plus grand nombre et de générer du lien entre les différentes missions de l’Académie.

À force de scruter les inventaires, les archives, les correspondances, des anecdotes célèbres ou méconnues viennent étayer son investigation et la rendent chaque jour plus exaltante. Tout l’enjeu sera de parvenir à la partager, à lui donner forme et fonction dans le cadre protocolaire de l’institution. Un angle se dessine : l’exposition peut être un moyen d’expérimenter, en marge du sujet principal que sont les tapisseries, comment réunir l’histoire des artistes pensionnaires, des Manufactures royales, et de l’Académie en un dispositif d’accueil dédié aux visiteurs.

Dans ce jeu de convergences émergent bien sûr des faits notables, notamment la relation privilégiée que cultive Poussin avec la ville de Rome ; ou le fait que le peintre français – l’un des plus importants de son temps (1594-1665) –, ait été le premier artiste approché par Colbert pour fonder L’Académie de France à Rome (il en serait devenu le premier directeur s’il ne s’était pas éteint deux ans avant la naissance de l’institution). La parenté entre les Gobelins et l’Académie de France de Rome remonte, elle, au XVIIIe siècle, époque à laquelle les Manufactures royales jouent un rôle central dans le rayonnement de la France à l’étranger. Les salons de l’Académie, qui s’installe alors au Palais Mancini, étaient décorés de tapisseries, miroirs et autres banquettes en savonnerie que le tout Rome venait admirer les jours de fête. Le Palais faisait ainsi valoir les atouts de la France, en pleine rivalité artistique, technologique et commerciale avec l’Italie.

 

Le dispositif scénographique : mise à distance, mise en cohérence et continuité

Les fils de laine. Durant la restauration des tapisseries, Ramy Fischler effectue plusieurs visites à la Manufacture des Gobelins. La matière première utilisée donne envie au designer de lui trouver une place particulière dans l’exposition. Ininterrompu du début à la fin du parcours, les fils de laines génèrent une continuité entre les différentes pièces de l’exposition, et créent aussi un lien avec l’édifice. Une manière d’exprimer l’affiliation du sujet traité avec les autres missions qu’abrite la Villa. À travers ce dispositif, le public peut observer les couleurs et les matières qui, une fois entrelacées, forment une œuvre dans laquelle on discerne à peine les fils, tant le tissage est fin et subtil. Grâce à ce traitement délicat, le dispositif contraignant de la mise à distance – qui nuit souvent à l’œuvre autant qu’au public –, ne perturbe pas la lecture de l’exposition. Au contraire, les fils de laine expriment une connivence avec les tapisseries.

Les lutrins. Réalisés en tôle pliée, ces mobiliers présentoirs qui ponctuent et rythment les différentes salles de l’exposition contiennent un texte explicatif ainsi qu’un carnet d’images établi avec les trois commissaires. Chaque carnet illustre un point de vue d’historien sur les œuvres exposées. Des clefs de lecture y sont données pour appréhender les associations, les ressemblances ou les oppositions à déceler entre dessins, peintures et tapisseries de même thématique.

Les fanzines. Le format fanzine a permis à Ramy Fischler de rassembler le fruit de ses investigations en les faisant dialoguer avec une sélection d’ouvrages de la bibliothèque de la Villa – dont les livres ne sont consultables que par les pensionnaires et les chercheurs –, photographiés et imprimés en noir et blanc sur un papier journal. Les nombreuses informations, anecdotes, témoignages, archives écrites et illustrées réunies par le designer, ainsi que des images produites dans le cadre de sa recherche forment, chacune à leur manière, un fragment d’Histoire de France, perché sur la colline du Pincio. Une copie de l’autoportrait de Poussin qui valut le prix de Rome à un pensionnaire ; un buste de plâtre du peintre, sauvé de peu de la décomposition et exposé parmi d’autres visages célèbres dans la gypsothèque… Autant d’éléments d’enquête à partir desquels il a construit des récits, tissé des liens, croisé des destinées que seuls la Villa et Poussin pouvait unir.

Un mobilier catalyseur de sens et de mémoire : les greffes de table

C’est par la cafétéria que les visiteurs de l’exposition pénètrent dans le jardin pour prolonger leur visite. Ce point de passage obligé donne à Ramy Fischler l’occasion de travailler sur un des innombrables lieux où la moindre intervention doit être légitimée. Pourquoi certaines choses perdurent ? Pourquoi d’autres disparaissent ? Le fait qu’il n’y ait pas de place pour la discussion ou le consensus sur ces questions témoigne d’une absence de choix.

La cafétéria de la Villa, un peu délaissée des pensionnaires, reflète très clairement le rapport fragile au sens des choses et des objets dans un lieu en mutation. Si la notion d’accueil y est un enjeu vital, sa définition en devenir, tout comme l’évolution croissante des publics rendent la tâche plus complexe qu’à l’époque où seule une poignée de privilégiés occupaient les lieux. L’ancienne galerie de Ferdinand, qui devint le grand salon des pensionnaires, s’est ainsi transformé en cafétéria quand le scénographe et ancien directeur de la Villa, Richard Peduzzi, l’a meublée de fauteuils club et de tables colorées. Lieu chargé d’histoire et de souvenirs, elle est aujourd’hui réduite à sa plus simple expression, ne reflétant en rien la vie, ou devrait-on dire les vies du lieu. La cafétéria n’en reste pas moins le centre névralgique du bâtiment, par lequel tout converge et tous se croisent. Le designer voulait intervenir dans ce lieu sans en modifier l’aspect ni en perturber la fonction actuelle. Il a donc conçu un module qui s’intègre discrètement au mobilier existant, et qui joue le rôle d’un catalyseur de sens et de mémoire : à la manière des lutrins disposés dans les salles d’expositions, le module en bois est greffé à chaque table basse de manière à accueillir les fanzines.

Scénographie de l'exposition Poussin et Moïse. Du dessin à la tapisserie