Rue de Lille
client : privé
année : 2014
chef de projet : Simon Naouri
lieu : Paris
crédits photos : Vincent Leroux
Les yeux bandés. C’est ainsi que les appartements qui bordent la Seine rive gauche pourraient se visiter. On y devinerait les boiseries aux murs, le parquet grinçant sous nos pas, les pièces qui diminuent et s’assombrissent au fur et à mesure qu’elles deviennent intimes, et un long couloir faisant office de colonne vertébrale à l’ensemble.
Et puis un jour, en poussant la porte de l’un d’entre eux, on découvre qu’à Saint-Germain-des-Prés on n’aspire plus forcément aux codes bourgeois d’hier. L’art de recevoir a laissé place à l’art de vivre, les cloisons, à des jeux de perspectives. « C’est désormais une boîte posée au milieu d’un appartement parisien », confie Ramy Fischler, à l’origine de ces bouleversements souhaités par un couple de trentenaires. Une boîte habillée de manière classique, avec sa cheminée XVIIIe et ses boiseries, dans laquelle les espaces intimes s’articulent et le luxe répond à de nouveaux critères. Exit l’ostentatoire : dans cet appartement, le marbre est en all over dans les salles de bains et se poursuit en placage à l’intérieur des placards ; la cuisine, ouverte, devient un élément d’architecture et le mobilier ne sert qu’à accessoiriser un projet qui, esthétiquement, pourrait fonctionner sans.
Il y a donc le minimum, qui s’accorde jusqu’à disparaître. Seules quelques oeuvres de Gordon Matta-Clark ou Raphaël Zarka viennent ponctuer cette oeuvre totale, mais sans violence. Ici, il ne s’agit pas de fantasmer les codes d’hier ou ceux de demain, explique le designer. « C’est un loft, sans en être un », affirme-t-il avant de poursuivre : « Je dessine un appartement, je ne le décore pas ». Ramy Fischler écrit aussi une histoire dont les propriétaires sont peu à peu devenus les héros. Une fiction en trois dimensions, composée d’un salon, de deux chambres et de deux salles de bains, que seuls des travaux pourraient aujourd’hui modifier. Mais pour l’heure, ce n’est pas prévu. Le jeune couple vient de s’installer, et semble heureux dans cette fiction créée par quelqu’un dont ils aimaient le travail, et à qui ils viennent de confier le dessin d’un autre pied-à-terre ; un lieu où, là encore, le fantasme du confort bourgeois disparaîtra au fur et à mesure de l’aventure.
Sophie Pinet – AD Mars 2015 n°128